Nuisances sonores: comment mettre fin aux troubles de voisinage?

Nuisances sonores: comment mettre fin aux troubles de voisinage?

 

Les bruits causés par le voisinage vous sont devenus  insupportables?

Comment mettre fin à ces  nuisances sonores ? Quels sont mes droits? Quel juge saisir?

Il est admis par une jurisprudence constante du juge civil que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

V. d’abord au visa des articles 554 et 1382 : Civ. 3ème, 4 fév. 1971 : Bull. n°78

V. selon un principe prétorien depuis l’arrêt de principe : Civ. 2ème, 19 nov. 1986, n°84-16379

Pour obtenir une indemnisation d’un trouble anormal de voisinage, il convient de justifier seulement du caractère anormal du trouble, sans avoir à prouver l’existence d’une faute ou d’une violation des règlements ou autorisations administratives.

De plus, contrairement à la juridiction administrative chargée de statuer sur la légalité des actes administratifs qui lui sont déférés, le juge civil n’a pas à rechercher quels sont les normes réglementaires applicables mais seulement de vérifier la réalité de trouble invoqué par les voisins, lequel doit présenter un caractère anormal pour constituer un dommage qui excède la mesure des inconvénients normaux de voisinage.

 

À partir de l’idée selon laquelle nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, la jurisprudence va parfois condamner des organisateurs d’activités physiques et sportives à indemniser des propriétaires victimes de ces troubles. Ici, on peut imaginer que l’organisateur a bien respecté les règles quant au développement de son activité et ce n’est donc pas sur cette base que sa responsabilité sera recherchée. Ce sont en pratique les bruits excessifs, les fumées, odeurs, poussières et autres désagréments qui vont permettre aux tiers d’obtenir réparation par des mesures de nature à faire cesser le trouble et à le réparer, soit en nature soit par l’octroi de dommages et intérêts.

 

La dégradation des conditions de vie ou d’exploitation d’une activité professionnelle peut ainsi consister dans des bruits tels ceux occasionnés par un circuit de karting (Cass. 2e civ., 9 oct. 1996 : JCP G 1996, IV, p. 295 ; Resp. civ. et assur. 1996, comm. 387) par un ball-trap (Cass. 2e civ., 29 avr. 1997 : Resp. civ. et assur. 1997, comm. 228) par une salle des fêtes (CA Orléans, 23 janv. 1997 : JurisData n° 1997-040330).

 

Pour mettre fin au litige d’une façon absolue et définitive, le juge peut condamner le défendeur, généralement sous astreinte, à ne plus nuire à son entourage.

Les juridictions sont, en principe, habilitées à prononcer l’interdiction définitive d’activités ou la destruction d’installations, causes d’inconvénients excessifs. 

Cette jurisprudence constante a trouvé par exemple application en matière de bruit des circuits de véhicules à moteurs, les juges ayant admis le caractère anormal du trouble alors même que les seuils applicables fixés par les Fédérations sportives concernées avaient été respectés.

V. CA Poitiers, 18 avril 2012, Assoc. MOTO-CLUB de FONTENAY-LE-COMTE, n°10/04489, précisant que les études acoustiques réalisées ne peuvent pas avoir d’autre effet que de quantifier l’intensité des bruits perçus par les voisins lorsque le circuit de vitesse est en activité, faisant valoir le faible niveau de bruit résiduel de ce site situé en pleine campagne, et considérant le caractère aggravant d’un trouble occasionné uniquement les samedis et les dimanches

V. CA Versailles,  28 sept. 2006, Association BICROSS LUISANT ATHLETIC CLUB, R.G. N° 04/08870 ayant confirmé le jugement rendu le 29 Septembre 2004 par le Tribunal de Grande Instance de CHARTRES ayant déclaré l’association entièrement responsable des troubles de voisinage causés aux époux ANTIGNY, condamné l’association à leur payer la somme de 9.000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux depuis l’assignation, dit qu’à compter du jugement l’association devra s’abstenir d’utiliser un dispositif de départ comprenant grille de départ et boite vocale, sur le circuit bicross et ce sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, et dit qu’à compter du jugement l’association devra s’abstenir d’organiser des compétitions sportives sur son circuit bicross et ce sous astreinte de 2500 euro par infraction constatée. La cour d’appel retient que :

« Les époux ANTIGNY propriétaires d’un pavillon qu’ils occupent depuis le 5 septembre 1983 situé [...] et qui fait partie d’un lotissement situé en bordure du stade Jean Bouin ont fait assigner l’association LUISANT ATHLETIC CLUB qui exploite une piste de bicross construite sur un terrain situé en bordure du lotissement et de leur pavillon aux fins d’expertise puis au fond pour voir condamner l’association à réparer le trouble anormal de voisinage qu’ils subissent du fait de l’activité de bicross engendrant des nuisances sonores et visuelles.

Considérant que les époux ANTIGNY ont fondé devant le tribunal leur action sur les                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             articles 1382 et 544 du code civil, que le tribunal a fondé sa décision sur les dispositions de l’article 544 du code civil en retenant les troubles anormaux de voisinage que génère l’activité de bicross exercée par l’association ainsi que celles du décret du 18 avril 1995 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et modifiant le code de la santé publique ;

 Qu’il s’ensuit que le grief d’absence de fondement juridique à la décision prononcée contre elle n’est pas justifié ;

 Considérant que l’expert judiciaire dont les constatations et mesures se sont déroulées contradictoirement, étant renvoyé aux motifs du jugement qui rappelle et analyse les travaux de l’expert et ses conclusions, a parfaitement mis en évidence la réalité et l’importance des nuisances engendrées par le circuit de bicross , les jugeant très supérieures aux valeurs admises, à raison de leur fréquence en période de repos, leur persistance depuis 5 ans et la nature des bruits engendrés ne pouvant que dégrader significativement les conditions de vie des époux ANTIGNY en aggravant dans des proportions conséquentes les embarras inhérents à l’implantation de leur pavillon dans une zone déjà bruyante ;

Que le trouble étant constitué et caractérisé dans son anormalité, sans que l’association en démontre le contraire, il est sans portée pour elle d’invoquer sa mission de service public, la diminution de l’activité de compétition ou sa situation patrimoniale, pour tenter d’obtenir le débouté des époux ANTIGNY ;

Considérant que le premier juge a parfaitement apprécié l’insuffisance et la vacuité des propositions d’aménagement du circuit, que son appréciation ne saurait être corrigée par l’invocation devant la cour des projets d’aménagement qui ne sont qu’à l’état de projet s’agissant du mur antibruit dont l’expert a dit qu’il serait insuffisant à faire cesser les nuisances et sans preuve de leur efficacité s’agissant de la modification de la grille de départ dont est versée aux débats pour preuve de la réalisation une facture acquittée, étant relevé que l’expert judiciaire a bien précisé qu’au cas particulier de cette activité sportive, c’est l’implantation du circuit qui est en cause, laquelle demeure ;

 

V. aussi TGI Clermont-Ferrand, 1 ch. civ., 4 juillet 2011, n°11/01150 : reconnaissant l’existence d’un trouble anormal de voisinage pour 19 riverains du circuit de Charade (Puy de Dôme) incommodés par les nuisances sonores. La société qui gère le circuit a été condamnée à verser des dommages et intérêts à dix-neuf riverains membres de l’Association pour la défense des riverains du site de Charade (de 2500 euros à 5000 euros) pour un total de 82 500 euros.

Les juges ont également condamné « l’exploitant à prendre toutes les dispositions utiles pour ramener à moins de 55 décibels le bruit généré devant les habitations par les activités sur le circuit, et ce avant la reprise de la saison 2012 et au plus tard six mois à partir de la signification du jugement, sous astreinte non définitive de 2.000 euros par infraction constatée. » Pour motiver leur décision, les juges ont notamment tenu compte du fait que, « dans 90% des cas, les activités du circuit génèrent des niveaux sonores compris entre 55 et 65 dB(A), et pour 10% au delà de 65 ». Les juges ont également rappelé que la conformité d’une activité à la réglementation qui lui est applicable n’est incompatible avec la notion de trouble anormal de voisinage que si cette activité est antérieure à l’installation des demandeurs. Toutefois, les requérants ont dû démontrer le caractère anormal du trouble qu’ils dénonçaient, et ce d’autant que les dispositions du code de la santé publique qu’ils invoquent ne sont pas directement applicables à ce type d’activité, « ce qui n’interdit pas cependant de les considérer à titre d’information sur les bruits supportables devant une habitation».

 

V. également CA Caen, Ch.civ. 1, 21 mai 2013, Assoc. Motoclub Bellemois, n° 10/02017, ayant dit que les dispositions du Code de la Santé Publique relatives au bruit ne sont pas applicables au litige tout en renvoyant la cause et les parties devant les premiers juges pour qu’il soit statué sur les demandes de la SCI Haras du Haut Val et autres s’agissant de la réparation d’un trouble anormal de voisinage au sens de l’article 554 du code civil.

 

Le locataire ou propriétaire du terrain d’assiette du circuit doit répondre solidairement avec le club gestionnaire du circuit des dommages causés par l’activité du circuit.

 

V. Cour d’appel, Aix-en-Provence, 6 mai 2008, SARL CAMP DU PYLONE et Françoise L. épouse P.  C/ SARL CIRCUIT OCEANE, Serge S.et la SARL POUL KARTING, N° 2008/ 237,  qui confirme la condamnation à la réparation du trouble anormal par la motivation suivante : « Attendu que Françoise L. produit cependant de nombreuses lettres de réclamations de clients du camping qui se sont vivement plaints du bruit des karts et qu’il ne saurait être contesté que si le taux de fréquentation de son établissement n’a pas baissé, ces récriminations, auxquelles elle a été contrainte de répondre pour satisfaire sa clientèle et la conserver, ont grandement désorganisé son activité, ce qui lui a causé un préjudice que la Cour évalue à 20 000 euros pour toute la période durant laquelle les nuisances sonores ont excédé les inconvénients normaux du voisinage ;

Attendu que ces nuisances trouvant leur origine dans l’activité de la SARL POUL KARTING pour la première moitié de cette période, et dans l’activité de la SARL CIRCUIT OCEANE pour la seconde moitié, chacune de ces deux sociétés sera condamnée à payer à Françoise L. une indemnité de 10 000 euros ;

Attendu que Serge S. qui doit répondre des troubles de voisinage causés par la SARL POUL KARTING et la SARL CIRCUIT OCEANE du fait de l’utilisation du terrain qu’il a mis à leur disposition et dont il est lui-même détenteur en qualité de locataire, sera condamné à réparer le préjudice subi par Françoise L., in solidum avec chacune de ces sociétés; »

        

Une association de protection de l’environnement peut établir le caractère personnel,  direct, et certain du préjudice qu’elle invoque en démontrant l’existence d’un trouble de voisinage dont ses propres membres sont victimes.

 

V. a contrario, Cour d’appel Limoges, 29 janvier 2009, S.A.R.L. JPM DUMUR/ Association MIEUX VIVRE A PAGEAS, ASSOCIATION SPORTIVE KARTING DES RENARDIERES ‘ASK’, N° 07/00168 ayant retenu que «  l’objet social de l’association ‘Mieux vivre à Pageas’ est de ‘lutter contre toutes les atteintes au cadre de vie des habitants et à l’environnement’ ; qu’elle est donc recevable à exercer devant le juge civil une action fondée sur la violation de cet intérêt collectif ; Attendu que le bien fondé de son action nécessite toutefois qu’elle démontre que la faute ou le fait reproché lui cause un préjudice personnel, direct et certain ; Attendu que l’association ‘ Mieux vivre à Pageas’ se fonde sur la notion de trouble de voisinage qui est une restriction du droit de propriété et s’apprécie de manière concrète en fonction des circonstances de temps et de lieu et par rapport à une victime identifiée de l’abus de droit allégué du droit de propriété ;Attendu qu’il est donc indispensable que cette association démontre l’existence d’un trouble de voisinage dont ses propres membres sont victimes , faute de quoi le préjudice qu’elle invoque ne lui serait ni personnel, ni direct, ni certain »

 

Pour l’appréciation de l’anormalité du trouble, le juge tient compte de l’environnement dans lequel survient le trouble.

 

V. a contrario,  Cour d’appel Amiens, 14 Février 2012, ASSOCIATION GOLF DE MORTEFONTAINE/S.A.S. CENTRE D’ESSAIS ET DE RECHERCHE AUTOMOBILE DE MORTEFONTAINE, N° 10/02268 ne retenant pas le caractère anormal du trouble au motif que « le golf, bien que situé aux abords du site remarquable de la forêt d’Ermenonville, n’est pas un lieu situé dans un environnement silencieux qui ne serait troublé que par le bruit des oiseaux contrairement à ce que certaines attestations laissent suggérer puisqu’il est longé par l’autoroute A1 qui est très empruntée et qu’il est situé à proximité de l’aérodrome de Plessis-Belleville qui est particulièrement fréquenté certaines fins de semaine »