Pourquoi faut-il refuser le prélèvement d'ADN pour le FNAEG?

Pourquoi faut-il refuser le prélèvement d’ADN pour le FNAEG?

En France, le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) mis en œuvre par le ministère de l’intérieur sous le contrôle du ministère de la justice conserve en principe les empreintes génétiques dans l’unique but d’identifier les auteurs d’infractions et sans jamais pouvoir servir à connaître les caractéristiques des personnes fichées.

En réalité, en raison de l’avancée de la science génétique, il est désormais démontré scientifiquement que les segments d’ADN prélevés pour le FNAEG permettent de connaître l’affiliation aux grands groupes de population (cad la couleur de peau….) et certaines caractéristiques pathologiques.

Le prélèvement de ces segments d’ADN pour le FNAEG est par conséquent manifestement illégal et inconstitutionnel.

Le refus de prélèvement d’ADN opposés avec un certain courage par des militants (écologistes, syndicalistes, désobéissants…) est par conséquent pleinement justifié et ne devrait plus pouvoir faire l’objet d’une quelconque sanction pénale.

Pour en savoir plus:

Le fonctionnement du FNAEG est défini par le titre XX du livre IV du code de procédure pénale. Ce titre comprend une partie législative ainsi qu’une partie règlementaire composée de décrets en Conseil d’État, de décrets simples et d’un arrêté définissant les locus sur lesquels portent les analyses destinées à l’identification génétique.

Ainsi, l’article 706-54 alinéa 5 du code de procédure pénale prévoit

« Les empreintes génétiques conservées dans ce fichier ne peuvent être réalisées qu’à partir de segments d’acide désoxyribonucléique non codants, à l’exception du segment correspondant au marqueur du sexe.»

En application de ces dispositions, l’article R53-13 du code de procédure pénale renvoie à un arrêté interministériel le soin de définir « le nombre et la nature des segments d’ADN non codants sur lesquels portent les analyses d’identification par empreintes génétiques (…).»

L’article A38 du Code de procédure pénale précise donc les segments d’ADN sur lesquels portent les analyses destinées à l’identification génétique.

Les segments d’ADN sur lesquels portent les analyses destinées à l’identification génétique figurent dans le tableau (selon la nomenclature internationale) que vous trouverez ici

Les dernières avancées de la science génétique démontrent le caractère manifestement erroné de l’affirmation selon laquelle, à l’exception du marqueur de sexe, aucune caractéristique de l’individu ne saurait donc être décelée à partir des empreintes biologiques du FNAEG.

En effet, il est désormais admis par la communauté scientifique, eu égard aux résultats obtenus dans le cadre de très récentes études publiées en 2010 et 2011, que les segments d’ADN qui font l’objet d’enregistrement dans le FNAEG sont loin d’être « non codant ».

Comme l’exposent Catherine BOURGAIN, docteur en génétique humaine et statistiques à l’université de Paris Sud, agrégée en Sciences de la vie et de la Terre, les segments « non codant » ne se limitent pas à assurer l’identification des individus : ils permettent en réalité d’établir les caractéristiques génétiques des personnes concernées (origine géographique et ethnique, prédispositions pathologiques).

V. Entretien avec Catherine BOURGAIN, par M. de Pracontal et L. Fessard, Mediapart.fr, 13 sept. 2011
V. Catherine BOURGAIN et Pierre DARLU, ADN superstar ou superflic? Les citoyens face à une molécule envahissante ?, éd. du Seuil, janv. 2013

Cette analyse repose sur quatre études réalisées par les équipes de chercheurs en génétique qu’il convient d’analyser successivement.

Etude Popaffiliator publiée le 16 juin 2010: calculateur d’affiliation d’un individu aux principaux groupes de population.

Une équipe de chercheur de l’université de PORTO a ainsi créé un logiciel à partir des segments d’ADN retenus au niveau international pour l’empreinte génétique (qui sont ceux retenus, en France, par l’arrêté du 23 octobre 2006 fixant la liste des segments d’ADN sur lesquels portent les analyses génétiques pratiquées aux fins d’utilisation du FNAEG).

Ce logiciel permet de déterminer l’affiliation d’un individu aux principaux groupes de population (Eurasie, Asie de l’est, Afrique sub-saharienne).

V. International Journal of legal medicine, PopAffiliator : Online calculator for individual affiliation to a major population group based on 17 autosomal short tandem repeat genotype profile, Luisa PEREIRA et a., 16 juin 2010

Il ressort de cette étude que leur haut pouvoir discriminant et la facilité avec laquelle on peut les génotyper font des microsatellites (STR, pour short tandem repeat : court motif répété en tandem) les marqueurs génétiques les plus utilisés actuellement dans le cadre médico-légal et judiciaire et la constitution de fichiers génétiques.
On les utilise généralement en combinaisons de 15 à 17 marqueurs génétiques. Les contraintes liées à la quantité et la qualité de l’échantillon biologique, fréquentes dans ce contexte, ne changeront pas dans le futur cet état de fait en dépit des progrès techniques. Dans cette étude, nous présentons un calculateur en ligne gratuit appelé PopAffiliator (http ://cracs.fc.up.pt/popaffiliator), permettant l’affiliation individuelle aux trois grands groupes de populations : Eurasie, Asie de l’Est, et Afrique sub-Saharienne, sur la base des profils génétiques obtenus pour les STR communéments utilisés en médecine légale. Ce programme réalise cette affiliation en se basant sur un modèle construit par des méthodes d’apprentissage automatique (machine learning). Ce modèle a été construit à partir d’un jeu de données d’environ quinze mille individus, constitué pour ce travail. Le taux d’affiliation correcte est d’environ 86% ce qui montre que le jeu de STRs communément utilisé dans le cadre médico-légal et judiciaire fournit une quantité considérable d’information pour l’affiliation à une population, en plus d’être excellent pour l’identification individuelle.

Cette étude se poursuit actuellement afin d’affiner, à partir des mêmes segments d’ADN, le calcul de l’affiliation d’un individu à un groupe de populations (en tenant compte de sept régions du monde).

V. IPATIMUP (Instituto de Patologia e Immunologia Molecular), Supplement for « on using machine learning to predict the affiliation of an individual to a major population group based on a forensic based set of autosomal STRs’, Faculté de médecine de l’Université de Porto, 31 mai 2011

Ainsi, les segments théoriquement non-codants retenus pour le FNAEG ne se limitent donc pas purement et simplement à l’identification de l’individu comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel : leur comparaison permet de connaître l’affiliation de l’individu aux principaux groupes de population.

Ces segments permettent donc incontestablement de connaître une caractéristique des individus fichés.

Etude TIGEM publiée le 6 octobre 2004: le segment d’ADN « D2S1338 » permet de caractériser la pseudo-kaliémie.

Catherine BOURGAIN a relevé que l’équipe du Professeur GASPARINI de l’institut TIGEM de Naples, avec laquelle elle a été amenée à collaborer, avait montré que le segment D2S1338 permet de déterminer les caractéristiques pathologiques des individus en ce qui concerne un dysfonctionnement des globules rouges appelé la pseudo-kaliémie.

Il ressort en effet de cette étude que :

la pseudohyperkaliémie familiale (FP) est un trait héréditaire dominant et asymptomatique des globules rouges, qui présentent une ‘fuite passive’ de cations K+ dans le plasma lors du stockage du sang à température ambiante (ou inférieure). Il n’y a aucune anomalie hématologique. La perte de K+ est due à un changement dans la dépendance à la température de la fuite. Le cas écossais initialement décrit, la FP Edinburgh, a été cartographié dans la région 16q23-ter. Ici, nous étudions une grande famille de descendance Flamande ayant une FP, désignée FP Lille, et qui était phénotypiquement identique à la FP Edinburgh. Dans la FP Lille, cependant, le locus responsable a été localisé dans la région 2q35-36 avec un LOD score de 8,46 au marqueur D2S1338. Nous en déduisons que la FP Edinburgh et la FP Lille, bien que phénocopies l’une de l’autre, découlent de deux locus distincts, respectivement FP1 (16q23-qter) et FP2 (2q35-36). Cette dualité indique qu’il est possible que la protéine médiatrice de la fuite soit un hétérodimère. Aucune mutation n’a été trouvée dans trois gènes candidats plausibles : le gène KCNE4, le gène TUBA1 et un gène prédit localisé dans le contig génomique NT_005403.

Ainsi, le locus responsable de la maladie dite pseudohyperkaliémie familiale a été localisé au marqueur D2S1338 pourtant théoriquement non-codant et retenu pour le FNAEG.

Ce segment permet donc incontestablement de connaître une caractéristique pathologique des individus.

Etude COURTS et MADEA, mars 2011 : association significative entre le segment d’ADN TH01 et la mort subite du nourrisson

Une équipe de chercheurs de l’hopital universitaire de Bonn en Allemagne, a démontré l’association significative entre l’allèle 9.3 du marqueur TH01 et la mort subite du nourrisson (SIDS) dans une étude publiée en mars 2011 dans le Journal of Forensic Science.

Il ressort du résumé de cette étude :

La mort subite du nourrisson (SIDS) représente une part très importante des cas de mort inexpliquée chez le nourrisson. On suspecte les variations interindividuelles dans la réponse aux catécholamines de jouer un rôle dans le SIDS. TH01 est un marqueur génétique de type STR tétramérique localisé dans le gène de la tyrosine hydroxlase, qui régule l’expression des gènes et la production de catécholamines, l’allèle 9.3 du marqueur TH01 ayant un effet particulièrement important sur la production de noradrénaline. Nous avons réalisé une étude contrôlée pour l’âge pour comparer la fréquence des allèles de TH01 chez 127 cas de SIDS et 406 témoins pour chercher si la distribution des allèles de TH01 était différente dans les deux groupes, comme cela a déjà été rapporté part d’autres études. Nous avons trouvé que les génotypes qui contiennent 1 ou 2 allèles 9.3 sont significativement plus fréquents chez les patients atteints de SIDS (58.2%) que chez les contrôles (48.4%, pvalue=0.038), alors que tous les autres allèles étaient plus fréquents dans le groupe des contrôles. Nos résultats viennent conforter l’hypothèse qu’il existe une association significative entre le gène TH01 et la SIDS.

Ainsi, le segment TH01 théoriquement non-codant est en réalité associé à la mort subite du nourrisson.

Il en résulte qu’ici encore, ce segment retenu pour le FNAEG permet incontestablement de connaître une caractéristique pathologique des individus.

Etude HUI publiée le 30 mai 2011: le segment d’ADN « D21S11 » est réellement associé à la maladie coronarienne

Une équipe de chercheurs de l’université de Dalian en Chine, à l’issue d’un travail de recherche des gènes associés à la maladie coronarienne (MC), vient de publier un article aux termes duquel il apparaît que le segment « D21S11 » est réellement associé (« truly related ») à cette maladie coronarienne.

Il ressort du résumé de cet article que :

Résultats : Nous avons trouvé une différence statistiquement significative dans la fréquence de 3 allèles entre le groupe des patients atteints de MC et le groupe contrôle, ainsi qu’une différence d’âge au premier épisode pour deux allèles. Pour un allèle, l’allèle 28.2 du marqueur D21S11, la fréquence est statistiquement différente dans les deux groupes ainsi que l’âge au premier épisode de MC. Nous avons confirmé que D21S11-28.2 est vraiment associé à la MC.
Conclusions : Un allèle unique a pu être identifié comme étant associé à la MC, après correction des faux positifs par validation croisée. Il semble que des gènes impliqués dans la MC puissent être localisés à proximité du marqueur D21S11.

En conséquence, ici encore le segment « D21S11 » théoriquement non-codant et retenu pour le FNAEG peut être associé à la maladie coronarienne.

Ce segment permet donc incontestablement de connaître une caractéristique pathologique des individus.

En conclusion, soit individuellement, soit par comparaison entre eux, les différents segments théoriquement « non codants » (conservés dans le FNAEG) sont en réalité de nature à permettre de déterminer les caractéristiques organiques, pathologiques, ou morphologiques des personnes concernées.

Les empreintes génétiques peuvent ainsi être utilisées dans un but parfaitement étranger à l’objet du fichier tel que fixé par le législateur, soit : « faciliter l’identification et la recherche des auteurs des infractions ».

En ce sens, le Comité Consultatif National d’Ethique, dans son avis du 26 avril 2007 n° 98 relatif à la « Biométrie, données identifiantes et droits de l’homme » (page 6) avait déjà mis en garde les autorités compétentes sur le fait que les parties « théoriquement non codantes » des gênes étaient vraisemblablement « les plus riches en informations diverses » :

« Les méthodes d’identification par analyse de l’ADN prennent une importance croissante, et peut-être démesurée. Certes, les caractéristiques génétiques contenues dans les régions codantes ne sont conservées et utilisées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, alors que les « empreintes » génétiques utilisées par la Police et la Justice ne concernent que les marqueurs sexuels et des séquences théoriquement non codantes. Les fondements de cette distinction sont peut-être inexacts, et les régions non codantes sont vraisemblablement les plus riches en informations diverses. »

Les études précitées confirment en tous points ces inquiétudes émises par le Comité Consultatif National d’Ethique dès 2007.

Les dévoiements de la finalité d’identification pure et simple du FNAEG et les risques de dérive, sont connues et d’une gravité incontestable qu’a rappelé le Comité Consultatif National d’Ethique dans cet avis du 26 avril 2007 précité :

Dans le domaine pénal, seules les empreintes génétiques des personnes condamnées pour infraction à caractère sexuel dont certaines atteintes aux mineurs pouvaient initialement être conservées en France. Mais le prélèvement et la conservation d’ADN ont récemment été élargis à « toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un délit », dont la liste exhaustive comporte les « dégradations, détériorations, et menaces d’atteinte aux biens ». Cette extension ne saurait être présentée dans bien des cas comme nécessitée par un besoin de sécurité (est-il indispensable de relever l’ADN des faucheurs d’OGM ?).

Dès lors, il ne saurait plus être question du respect d’une quelconque finalité elle-même justifiable, mais d’une accumulation, d’un stockage de données « à toutes fins utiles » qui rende possible une recherche discriminatoire à partir de ce stockage, une pratique d’exclusion, ou un regroupement à des fins ambiguës. Ainsi, l’usage de données biométriques qui pourraient être reliées à l’identification de minorités ethniques, ou leur détournement à des fins politiques, sont particulièrement source d’inquiétude. On imagine aisément l’utilisation aux fins de stigmatisation, d’exclusion sinon d’élimination que des régimes totalitaires auraient pu faire ou pourraient faire de tels instruments ainsi mis à leur disposition… »

Enfin, il faut rappeler que le fichier n’a cessé d’être étendu au gré des réformes législatives successives, et qu’il est passé de 2000 profils en 2002 à 2 188 971 profils génétiques en 2012, soit près 3,34 % de la population française. 75 % des personnes sont fichées en tant que « mis en cause » (et donc présumées innocentes ; leurs empreintes sont conservées pendant vingt-cinq ans), 18 % en tant que personnes « condamnées » (leurs empreintes seront conservées quarante ans), les 7 % restants correspondant à des « traces inconnues » relevées sur les scènes d’infractions.

Le 4 janvier 2012, le président du Syndicat de la magistrature, Matthieu BONDUELLE, cité comme témoin dans le cadre du procès de Xavier MATHIEU devant la Cour d’appel d’Amiens, a dénoncé le « dévoiement » du fichage génétique, en soulignant qu’ « on est passé d’un fichage restreint ciblé à un fichage fourre-tout. Le fichier national des empreintes génétiques a changé de nature. D’outil d’élucidation, il est devenu une sanction, un double peine ».

Au regard de ses éléments, l’article A38 du Code de procédure pénale qui détermine les segments d’ADN du FNAEG doit être considéré contraire aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 706-54 du code de procédure pénale et aux principes de non discrimination, du respect de la vie privée, de dignité humaine, de liberté individuelle et de rigueur nécessaire qui sont constitutionnellement protégés.

Il en résulte que le refus de se soumettre à la demande de prélèvement est plus que justifié.

Autre article:

FNAEG: le gouvernement reste sourd à l’appel de la cour de cassation